Plantes et vaudou

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PLANTES ET VAUDOU

Le vaudou est certainement l’une des «magies» dont on parle beaucoup, qu’on craint et qui, bien que parfois suspectée de fantaisie théâtrale, ne fait pas rire du tout. La raison d’un tel comportement :-,e justifie par le vaudou lui-même qui, tout en ne se rédamant pas d’une tradition ancestrale bien «carrée» et dogmatisée, s’affirme presque comme une religion. D’ailleurs, la lutte contre le vaudou, ses Temples et ses Prêtres, sorciers ou encore ses mambos, fut menée grand train à Hai’ti en 1914 par le clergé. Lutte finalement vaine : on ne change pas ses habitudes surtout en magie, bien au contraire.

D’où vient le vaudou ? son origine pourrait remonter à la préhistoire africaine mais, dans sa version la plus originale, il se situe au Dahomey et au Nigeria : c’est donc, à la base une religion nègre très primitive, basée sur les esprits. Bien qu’on dise que le vaudou soit le culte du Serpent et de la magie noire, il ne se rattache à aucun Dieu-Maftre comme on pourrait le concevoir dans d’autres formes religieuses. Quand au Serpent, qui dans le vaudou entoure un ?uf, il faut le considérer avant tout comme un symbole initiatique. L’?uf représente le monde vivant et le serpent marque la continuité et le renouvellement. C’est une autre image du Serpent qui se mord la queue. Sous d’autres formes d’actions rituelles, il est possible aussi que ce même serpent devienne un «LOA» comme «DAMBALLAH», esprit suprême du Vaudou, mais
esprit parmi les autres ainsi que : «S1MBI», patron des magiciens ; «LEGBA», patron des voyageurs, des routes ; «ERZULIE», patron de l’amour ; etc…

Mais le fondement du vaudou n’est autre que la magie instinctive, méthode magique destinée à se défendre des aléas de la vie : animaux féroces, rivaux, etc…, en quelque sorte : assurer sa substance et sa santé : Le dessin est à la base de cette pratique, dessin ou moulage que l’homme-sorcier baptise inconciemment, réalise, par sa seule volonté ; un transfert de personnalité : C’est ensuite que le plan mantal devient prépondérant et le sorcier fait appel aux énergies secrètes qu’il devine dans l’au-delà. On fait appel aux ancêtres, un culte des morts qui, par extension, donnera naissance au culte des esprits. C’est dans le début une croyance multiplie qu’on retrouve dans toutes les traditions : croyance aux luminaires : Soleil, Lune puis aux esprits élémentaires : l’eau (le fleuve), la terre (la forêt), le feu et l’air. La croyance devient magie à compter du moment où l’homme fait quelque chose pour rompre la glace qui le sépare de ce monde invisible. 11 doit, par un moyen ou par un autre, arriver à percer le mystère pour connaître et profiter des informations «extra-terrestres» pour son bonheur quotidien. Reste la manière de s’y prendre.

Dans toutes les magies primitives, le problème se résout à peu près de la même manière : parvenir à un état second, réaliser un dédoublement de personnalité, soit dégager son esprit du monde présent afin qu’il puisse communiquer, soit avec les morts soit avec d’autres puissances occultes. Pour réaliser cette ambition, trois formules existent. La première tient de ia nature du sorcier qui, étant médium, peut parvenir rapidement à une sorte de dédoublement. La seconde formule consiste à ingurgiter des drogues tel le Peyolt par exemple ; mais si la drogue n’est pas typiquement appropriée au v?ux demandés, elle possède néanmoins un argument divinatoire. La troisième solution. celle du vaudou et celle aussi de presque tous les rites qu’ils soient africains ou d’outre-atlantique, consiste à atteindre un niveau de surexcitation qui provoque la transe, état d’hypersensibilité. Le moyen ou plutôt la pratique principale est le rythme. D’une manière générale, tous les sons répétés sur une même fréquence sont épileptogènes et, de ce fait, sont propres à provoquer la transe. De là découlent toutes les danses rytmées, toutes les musiques du même style, accompagnées
surtout de tambours et tam-tam, instruments maîtres en cette occasion, telle la «Tamboula» du vaudou.

Durant la transe, chacun des participants est à même, de par son état, d’entrer en communication avec divers esprits, mais aussi avec-son propre inconscient. L’inconscient peut révéler des choses étonnantes, des indices instructifs dans tous les domaines que l’homme à l’état de veille ne perçoit pas directement ou consciemment. Quant au contact avec les esprits, il est difficile à expliquer car c’est une question de croyance avant tout. Il appartient au lecteur d’en juger. Mais, si l’on prend l’homme en transe pour référence, s’il communique avec les esprits c’est qu’ils existent tout au moins pour lui, et c’est là toute l’importance. Car même si l’esprit est une créativité issue de l’homme, elle prend vie et valeur non seulement pour l’homme, mais aussi pour les autres au travers son comportement. Je pense qu’il était nécessaire de préciser ce point qui montre la réalité de la cérémonie rytmée sans que je sois obligé de sortir de mon propos en expliquant le pourquoi du comment et la diversité des esprits
Lorsque le contact avec l’esprit est établi, l’homme en profite pour faire ses doléances, trouver réponse à ses questions, demander l’aide pour telles ou telles actions : profits, vengeances, pouvoirs, etc… Mais cela n’est que la magie primitive et le vaudou, déjà en afrique, sort du rang et se distingue parmi les autres rites.

En effet, si les fondements sont la danse, le rythme, qui confèrent les mêmes pouvoirs qu’aux derviches tourneurs par exemple, le vaudou ajoute à ce rite un élément essentiel et qui le caractérise : la possession. L’homme, en transe, devient un cheval que l’esprit va monter. Cette possession est effective : il y a dédoublement de l’homme, l’esprit «montant» le double. Un sens particulier cependant est donné à l’esprit dans le vaudou : l’esprit est un «LOA», mot provenant de «ROI» par déformation. Et cette remarque nous fait quitter le vaudou africain pour le vaudou des Amériques et des Antilles. Le culte primitif du vaudou de possession fait le voyage avec les esclaves et s’installe en d’autres continents.

C’est donc aux Antilles, en Guyanne et à Haiti que le vaudou va prendre sa forme définitive. Si on le retrouve aussi chez les noirs américains, dans ce cas son origine vient directement d’Hai’ti, alors qu’elle pourrait être issue directement d’Afrique, ce qui est finalement assez
drôle, vu que les racines du rite sont africaines. Mes voyages aux Etas-Unis et en communautés haïtiennes m’ont donné le fin mot du problème. Passé outre atlantique le vaudou s’est par trois fois mêlé à d’autres rites, à d’autres traditions, à d’autres religions.

Premièrement est venu se greffer le catholicisme romain, dogme et rites inclus. De ce fait les «LOA» (esprits rois) sont devenus, en quelque sorte, des esprits-saints. Ainsi on retrouve : «Tit-Bon-Z’ange» (ange gardien) ? «Z’ange rebelle» (Satan ou le diable) ? «Maît-tête» (âme ou conscience) ? «Bon Z’ange» (côté positif de la conscience) ? et d’autres Saints canonisés dont la puissance vaudou dérive d’une interprétation parfois burlesque des Evangiles, soit du Nouveau Testament. Les Principaux sont : Pierre, Paul, Jacques, quelquefois Jean, mais rarement. D’autres «Loa» sont issus de la chrétienté, mais au travers l’Ancien Testament ainsi : Salomon, David, Moi’se, Abraham pour les principaux. Mais il faut toutefois signaler qu’en vaudou, tout a qui se rattache de près ou de loin à l’Ancien Testament, provient beaucoup plus des grimoires de colportage que du dogme catholique proprement dit.

Il y a donc, et c’est un fait incontestable, une forte pénétration de la magie médiévale française. Et comme cette dernière contient en grande partie des éléments de la magie juive, de la Kabblale notamment, le vaudou élargit en complétant son dogme et, ainsi, finit par devenir plus qu’un rite ; une véritable religion agglomérant en elle plusieurs traditions. Mais la religion en vaudou ne reste pas mystique. La pénétration de la magie française en fait une religion pratique, c’est à dire capable d’aider l’homme à tout instant, et ce, matériele-ment. Toute cérémonie vaudou a donc une causalité et une finalité qui n’a qu’un but principal : le profit immédiat pour l’homme profit spirituel ou moral ou profit purement matériel. Le vaudou ne «tourne pas autour du pot», on ne le pratique pas pour «la forme» ou la croyance, mais en vue d’un résultat bien précis. C’est ce qui fait de la religion vaudou, un rite de magie qu’on dit «noire» par principe ou par jalousie, bien qu’elle ne sort pas reluisante quelquefois. Mais cela ne dépend pas du dogme proprement dit, mais de l’homme qui officie.

Deux pratiques, cependant, rendent le vaudou plus noir encore. Il y a en premier lieu le sacrifice et en second la forme orgiaque que peuvent prendre les transes.
Il est vrai que presque tous les rites magicaux religieux s’accompagnent d’un sacrifice. A part le sacrifice humain dont on parle peu mais qui a figuré un peu partout, l’immolation animale fut pratique courante quelques soient les rites. Pour bien comprendre cette pratique, il faut admettre deux éléments qui, volontairement ou non, sont intrinsèquement liés. En deux mots, je m’explique. Lorsque le sacrifice est considéré comme une offrande, c’est quoiqu’on en dise de la magie noire car on tue, avec quoiqu’on en dise aussi une arrière pensée d’échange : Je tue cela pour avoir ça ! et même si l’offrande ne nécessite pas le sang, le principe d’échange reste identique. C’est pour cette raison que la chrétienté qui, bien appliquée, donne et offre l’amour pour rien est la plus noble pratique religieuse de tous temps. Mais, d’après ce que j’ai pu voir et comprendre, le vaudou ne sacrifie pas systématiquement pour l’offrande. Son savoir occulte qui vient de France lui a inculqué le pouvoir du sang. Ainsi le sacrifice devient une condition quasi «sine qua non» de la cérémonie. En fait c’est l’assurance de constater un esprit. Que sera cet esprit ? un «LOA» ? un mort ? un démon ? une larve ? Tout dépendra à ce moment précis de la volonté de celui qui opère : mais en vaudou, ce sera un «Loa».

Mais le «Loa» qui possède le double de l’homme en transe est un cavalier capricieux, un cavalier qui va diriger son cheval comme l’homme laisse ses instincts le dominer. En transe, l’homme exécutera des mimiques diverses, se montrant lui-même dans les situations peu reluisantes ; mais qui reprocherait aux «Loa» de se moquer ? C’est ainsi que la transe prend une forme spectaculaire : imitations d’ivrognes (Loa Barsiko) – lubriques (Loa Taureau-trois-grains) -pédérastes ou aguicheurs (divers Loa féminins) – (diaboliques (Loa Cassé-brisé) – fantaisistes, mâchant du verre, buvant du pétrole, etc (Loa Simbi, Loa pétrol, Loa Ogou ferraille, etc) – équilibristes (Loa Dambala et autres).

Le «Loa» ayant terminé sa promenade sur le dos de l’homme, ne caresse pas, ne tapote pas la croupe, ne donne pas d’avoine, mais fait en sorte de réaliser le but pour lequel la cérémonie a eu lieu. La magie du «Loa» se manifeste directement ou indirectement. Directement, l’esprit communique un message : Faire ceci, aller là, manger ça, etc… Indirectement, l’esprit ne dit rien mais fait pressentir à l’homme qu’il a bien compris et qu’il s’occupe de son affaire. Et l’avenir se modifie.

Le sacrifice se choisit en fonction de l’importance de la demande : du b?uf au poulet ou rien du tout faute de moyens. La principal étant, dans le vaudou, la transe possessive. Quand il y a possession, il y a résultat.
Tel se présente le vaudou comme je l’ai vu et vécu, sans supercheries ni arrangements de théâtre. C’est, en définitive, une pratique très simple à la portée de n’importe qui. Seule la confusion parmi les «Loa» part rebuter à première vue, mais finalement ce ne sont que des créativités, devenues par la pratique des entités collectives.

Il était important de faire connaissance avec le vaudou, avec son côté spectaculaire de possession. Mais le vaudou est autre chose encore. Il est le gardien des connaissances magiques, non seulement de l’Afrique occidentale elle-même, mais de la magie française d’antan.

Car le vaudou n’est pas seulement restreint à la cérémonie de possession. De même, la messe, bien qu’importante, ne représente pas la totalité du rituel chrétien. Le vaudou comprend, en outre, la connaissance et l’utilisation magique des cierges et chandelles ainsi que la connaissance et l’usage des plantes, potions, mélanges, huiles, etc…. Et c’est ainsi que par le vaudou et grâce à lui nous retrouvons, à l’état presque pur, nos formules oubliés si efficaces au temps jadis.

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